Il ne m’a jamais été évident de mettre des mots sur une émotion. Je m’exprime peu, ou du moins plus au travers d’un objectif que par la parole. Il en va de même pour l’explication d’une série. Une photographie, c’est d’abord pour moi l’idée qui naît en mon for intérieur, prend vie, et nécessite une traduction entre ce que je vois en esprit, et ce qui se dessine dans un premier croquis, pour se développer dans la place que je donne à chaque élément, dans la composition à figer.
De même que j’apprécie de laisser l’œil du visiteur se faire sa propre idée, sans trop le prendre par la main, j’aime avoir confiance en l’image que je construis. Le choix d’une chromie particulière, d’une ombre portée, ou l’utilisation d’un symbole oriente bien plus, à mon sens, qu’un nom. Le sens vient en écho à la sensibilité de celui qui rencontre mon travail, et chacun est libre de se raconter sa petite histoire.
Pour autant, il est toujours bienvenue de donner quelques clefs de lecture, quitte à ce que l’interprétation s’en éloigne par la suite. Sachez que [ Re ] Cadre Émoi est pensé comme une trilogie. Le sens est déjà pluriel dans le titre donné à la série, par les diverses homophonies qui le composent : l’injonction impérative « Recadrez-moi » était mon point de départ, comme un appel au secours, à l’aide, face au vertige de l’émotion.
J’ai voulu décliner trois périodes. Elle sont symbolisées par le fond de couleur rose pour la première, noire pour la deuxième, bleue pour la dernière. Trois temps de vie à relier à l’innocence enthousiaste de l’enfance, suivi par le tourment omniprésent au long de l’existence, et toucher enfin la réconciliation par l’abstraction, comme un travelling arrière qui nous fait prendre hauteur et recul, à une échelle plus vaste que nous, humains.
Les symboles mis en lumière se télescopent dans les trois couleurs thématiques. Rien n’est tout rose dans une enfance trop vite consumée, rien n’est tout noir dans l’introspection, rien n’est complètement harmonie, puisque le ciel bleu regardé depuis l’espace s’assombrit, et redevient noir. Autant de petits signes d’alerte et d’espoir qui viennent ponctuer chaque prise de vue.
Le cadre est là, non comme délimitation, mais plutôt inspiré du génie de René Magritte. Cet hommage, façon « ceci n’est pas un cadre » est une manière d’appréhender autrement ce symbole récurrent dans ma série, et le faire apparaître comme une fenêtre vers les profondeurs du soi. La mise en abîme nous propulse d’abord dans l’imaginaire « barbapapa » d’Alice au Pays des Merveilles, nous fait basculer dans le questionnement abyssal de la lutte intérieure, pour enfin nous élever au plus haut, par-delà l’existence, nous faire rejoindre les souvenirs fossiles que sont pour moi les coquillages.
À défaut de fil rouge, c’est un fil vert de Nature qui nous guide : comme on traverse la vie en s’accrochant aux branches, et en passant de liane en liane. Le lierre est conscience éternelle, reliant notre finitude, notre matérialité à l’Univers tout entier. La plante grimpante reconnaît la fleur qui jamais ne se fane en nous, comme un cœur d’hortensia rose qui ne cesse de battre, et vient préserver une petite lumière salvatrice, qui nous évite de sombrer dans notre propre labyrinthe.